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The end ? Non, bien sûr que non. Déjà parce que malgré le fait que je m’accepte telle que j’étais, la nourriture me servait toujours de vecteur pour gérer mes émotions, positives ou négatives. Et puis, parce que parmi les choses que je voulais dorénavant m’autoriser à faire même si j’étais grosse, il y avait rencontrer l’homme de ma vie. Rappelez-vous, à l’époque, je n’acceptais pas d’être asexuelle, entre autres parce que je pensais que justement, c’était mon corps, mes complexes et le manque d’estime de moi-même qui m’empêchaient de désirer une autre personne. Pour moi, c’était parfaitement logique.
Et ça l’était ! Je savais déjà que ce que m’avait dit ma mère était faux, qu’il était parfaitement possible que quelqu’un d’autre me désire et en vienne à m’aimer, même si j’étais grosse. Les regards des hommes depuis mes 12 ans ne m’avaient laissé aucun doute à ce sujet. C’est pourquoi j’avais rajouté un codicille, qui était que ceux qui pouvaient désirer et aimer une femme grosse n’en valait pas la peine. J’ai corrigé ma pensée, j’y ai mis le temps, et j’ai fini par rencontrer mon ex, à qui je plaisais beaucoup, bourrelets y compris. Mon image de moi était très saine, je savais que je pouvais être séduisante, et je connaissais ma valeur, la même que tout autre être humain. Notre histoire a suivi son cours, mes sentiments pour lui étaient très réels, même si je n’osais pas m’avouer que sexuellement, je n’avais aucun désir pour lui. Alors que du point de vue esthétique, il me plaisait beaucoup. Lorsque nous nous sommes séparés pour une infinité de bonnes raisons, après avoir souffert de devoir renoncer à la relation et aux projets que j’avais faits, j’ai finalement ressenti un immense soulagement. Enfin, maintenant que j’avais vécu ce que c’était de l’intérieur, et que c’était terminé, je pouvais arrêter de faire semblant d’être une femme hétérosexuelle, et accepter que je suis asexuelle.
Et là, j’ai presque honte de le dire tellement ça fait cliché, mais c’était comme la dernière pièce du puzzle qui me manquait et j’ai pu tout mettre en place dans ma vie. Internet est un endroit extraordinaire, où on trouve toutes les réponses. Encore faut-il savoir poser la bonne question. Ou plutôt, les bonnes questions au fur et à mesure qu’elles émergent. J’ai « rangé » ma vie, évalué mes priorités, ai aligné mes actes en conséquence. J’ai entrepris de déconstruire et reconstruire une relation avec la nourriture qui soit à sa juste place, en prenant la responsabilité entière de la gestion de mes émotions. Je pensais m’être débarrassée dix ans auparavant de cette vision erronée de ma mère, codicille y compris, et je me suis rendue compte que je n’avais pas compris la vraie conséquence qu’elle avait eue sur ma vie.
« Un étranger qui ne te connait pas déjà ne pourra pas t’aimer si tu es comme ça. » Pendant des années, j’ai pensé que c’était vrai, puis que c’était faux, et en quelque sorte, j’ai prouvé que c’était faux. Accepter mon identité de femme asexuelle m’a fait prendre conscience qu’en fait, j’étais toujours convaincue que c’était vrai, que j’avais voulu que ce soit vrai. Dans notre société, c’est un réel problème que des filles, des enfants de 12 ans réalisent qu’elles sont l’objet des désirs d’hommes adultes. Ce n’est pas une façon de prendre conscience de sa sexualité. Je me moque de savoir si elles sont déjà formées, comment elles s’habillent, quelles sont leurs attitudes, si elles paraissent plus âgées ou non, si elles pensent être parties prenantes, voire consentantes, un homme qui communique à une enfant qu’il la désire, c’est amoral. Et puisque les hommes n’aiment pas les grosses, alors c’est ce que je me suis appliquée à rester. Et ce d’autant plus que je n’étais pas prête à accepter mon asexualité.
Lorsque je me le suis enfin avoué, c’est comme si mon identité sexuelle a repris sa juste place dans mon identité globale, et mon identité de grosse est devenue superflue. Je n’ai plus à me protéger du désir des hommes, parce qu’ils me sont profondément indifférents, que je sais que je ne peux pas les empêcher, et surtout, je suis en paix avec qui je suis. J’espère que c’est clair parce que je ne saurais pas l’expliquer autrement. J’avais pris une dizaine de kilos lors de ma relation, c’étaient les premiers qui avaient un réel impact sur ma santé et ma qualité de vie, je souhaitais les perdre. Parmi les choses que j’ai mises en ordre suite à la rupture, il y avait mon alimentation. Je m’attendais comme les fois précédentes à un retour de balancier, il n’en a rien été. Ayant par ailleurs appris à gérer mes émotions en adulte responsable, j’ai perdu du poids.
Suffisamment pour que soit remise en question l’image que j’ai de moi depuis des dizaines d’années, celle d’une femme grosse. Je ne suis pas mince, je suis dans la moyenne des femmes françaises (Vous ne pouvez pas savoir à quel point ça me réjouit d’écrire ça !). Je construis une nouvelle image de moi, celle d’une femme à l’aise dans son corps, forte et endurante, qui s’amuse à être coquette parfois. Le seul bémol dans ce tableau idyllique ? J’attends que mon entourage fasse de même, et arrête de me demander si j’ai encore perdu du poids et de me féliciter. D’un point de vue moral, je n’ai rien fait de mal quand j’ai pris du poids, je n’ai rien fait de bien quand j’en ai perdu. Je suis juste devenue une version plus authentique de moi-même.