Il faisait beau aujourd’hui sur Paris (encore que, il faut le dire vite, nous sommes en automne et ça peut changer à tout moment) ! J’hésite entre être positive et être très reconnaissante après la semaine pluvieuse que nous avons eue, et être encore plus positive en me disant que c’est une récompense pour avoir survécu à la semaine pluvieuse que nous avons eue ! J’ai beau tenter de toutes mes forces de m’inspirer de Sénèque et d’apprendre à danser sous la pluie, j’ai encore un peu de travail à fournir. Et vous, comment allez-vous aujourd’hui ?
J’ai décidé de vous parler d’une situation à laquelle je pense que toute personne asexuelle a été confrontée. Vous êtes-vous déjà rendu compte que vous faisiez semblant de comprendre certaines choses alors qu’en fait, vous ne faites que copier ce que font les autres ? Vous savez, comme en cours de mathématiques en première où le professeur fait la démonstration du calcul de la dérivée de x² ? Et qu’en fait, vous n’y comprenez rien mais retenez que la réponse est égale à 2x et que ça passe comme une lettre à la poste ? Bon, j’espère que je ne vous ai pas perdu avec cet exemple, je promets d’être plus claire dans le reste de l’article.
Les émois débordants des adolescents
Plantons le décor. Je suis adolescente, avec mes copines dans la cour de récré, et l’une d’elle explique qu’elle est amoureuse d’un garçon, qu’elle le trouve trop beau, trop intelligent et qu’elle espère trop qu’il la remarque parce qu’elle a trop envie qu’il l’embrasse. A l’époque, ma première réaction était que la copine en question lisait trop de romans pour adolescentes et regardaient trop de séries. En revanche, comme mes autres copines semblaient mieux comprendre et « rentrer dans son jeu » (mon interprétation d’alors), j’ai pensé que je ferais mieux de mettre ma réaction en sourdine, de faire semblant de comprendre ce dont il était question et de faire comme les autres. De ce jour, je ne sais toujours pas si ma copine se la racontait un peu trop, ou si toutes les filles passent par cette période quand elles commencent à s’intéresser aux garçons. Sans doute un mélange des deux.
Et j’étais d’autant plus perplexe que dans tous les magazines pour adolescentes de mon âge, dans les séries, les histoires abondaient où épisodes après épisodes, la fille et le garçon se tournaient autour avant de finir par sortir ensemble après un nombre beaucoup trop élevé de saisons et de péripéties téléphonées. En passant, je ne savais pas non plus ce que voulait dire sortir ensemble pour un garçon et une fille à cette époque, là aussi, je faisais semblant de comprendre. La réponse m’a parue très stupide une fois que je l’ai sue. Et bien sûr, dans mon monde, à cette époque, il n’était pas question d’être autre chose qu’attirée par les garçons, ce qui était déjà perçu comme suffisamment transgressif pour peu que vous ne fassiez pas qu’embrasser ladite personne. Aviez-vous une attirance pour le même sexe que le vôtre ou, comme dans mon cas, pour personne, que vous le gardiez soigneusement pour vous. C’est ainsi que j’ai grandi en apprenant à faire semblant de comprendre ce dont tout le monde parlait dès lors qu’il s’agissait d’attirance physique, et d’intérêt pour le sexe.
Mais, me direz-vous, c’est bien connu. L’adolescence est l’âge bête, ou tout le monde fait semblant de tout avant de comprendre et d’apprendre ce qui fait les relations amoureuses ou sexuelles entre les personnes, ce qui généralement arrive après, voire bien après. Oui, peut-être. Sauf que je n’ai jamais compris, jamais appris. Sinon que justement, pour moi, il n’y avait rien à comprendre. Pour prendre une métaphore qui vaut bien ce qu’elle vaut, c’est comme si les hétérosexuels étaient équipés pour voir le monde dans certaines couleurs, et moi avec d’autres couleurs. Ce n’est pas que vos couleurs soient plus ou moins jolies que les miennes, c’est qu’elles sont différentes. Alors quand tout le monde vous dit quand vous grandissez que c’est formidable de voir le bleu outremer de la mer sous le ciel bleu azur, alors que vous, vous voyez le ciel bleu céruléen sur la mer bleu saphir, vous arrivez à vous convaincre que vous voyez de l’outremer et de l’azur. Après tout, pour une asexuelle hétéro-romantique comme moi, une fois tous les aspects physiques mis de côté, les couleurs sont tout de même assez proches, et l’imagination fait le reste.
L’impact sur soi-même de l’attirance physique des autres
Sauf qu’un jour, je suis tombée sur le vrai nom des couleurs que je voyais, et j’ai réalisé que non, ce n’est pas la même chose. Et que, décidément, je ne comprends pas certaines choses. Par exemple, comment une femme, ou un homme, peut faire dépendre l’opinion qu’elle ou il a de lui-même de l’attirance physique qu’elle ou il va susciter chez les autres ? Comment cette validation extérieure va lui permettre de se sentir plus ou moins bien dans sa peau ? Comment se soumet-on ainsi à la dictature de l’opinion des autres sur son propre corps pour juger de sa valeur ? C’est une amie qui me racontait à quel point rentrer quelque part et sentir tous ces regards d’intérêt ou de désir donnait un coup de fouet à son égo et lui remontait le moral. Comme j’ai senti que ça lui faisait du bien, j’ai répondu : « J’imagine ! » d’un ton très enthousiaste. Et c’est la vérité, je ne peux qu’imaginer. Parce que dans ma réalité, je ne comprends pas. Car dans mon cas, j’ai mis beaucoup de temps à ne plus vivre ces « appréciations » comme malvenues et y être indifférente.
L’attirance physique à laquelle on ne peut pas résister
Ou alors, cette situation classique dont regorge la littérature ou le cinéma où le héros ou l’héroïne succombe à son attirance pour une autre personne et met son couple, sa vie familiale, son travail, sa vie même en danger ? Ou toutes ces situations où la relation est destructrice pour la personne mais elle assure qu’elle est trop faible pour résister ? Autant avouer mon âge, mais les ressorts d’une émission comme l’Ile de la tentation à son époque m’échappaient totalement. Comment l’attirance physique peut non seulement court-circuiter les facultés de raisonnement des gens, mais aussi leur faire oublier leurs valeurs ? Prenons une œuvre classique comme Manon Lescault, que j’ai relue récemment. Je n’en comprends pas l’attrait en général, je n’arrive pas à entrer en empathie avec le héros qui à mon sens agit comme le dernier des idiots et des ingrats envers sa famille et ses amis. Pour moi, l’amoralité de l’œuvre ne se situe point dans la relation hors mariage entre Manon et le grand naïf qui tombe amoureux d’elle sans même la connaître, mais dans le fait qu’il se trouve des gens pour l’excuser et essayer de nous apitoyer sur son sort alors qu’il devient un voleur et un meurtrier, meurtres pour lesquels il ne sera jamais même inquiété !
Le sexe pour le sexe
Que dire de toutes ces situations où l’intrigue repose sur du sexe pour le sexe, comme marchandise d’échange ou objet de manipulation ? Toute la série des James Bond par exemple. Que n’arrive-t-il pas à obtenir des femmes juste par quoi ? L’attrait irrésistible de sa virilité ? C’était déjà stupide et creux dans les livres, c’est risible au cinéma, c’est un comique de répétition usé jusqu’à la corde. Les femmes sont-elles vraiment aussi faibles que ça (sans compter que bien sûr, elles meurent souvent à la fin) ? Ou les auteurs étant des hommes, c’est ce qu’ils pensent des femmes, idée déprimante s’il en est au vu du succès des films. Sauf que, ces histoires existent aussi en miroir. C’est par exemple l’histoire d’un homme politique qui se fait manipuler par une belle espionne russe ou chinoise qui réussit ainsi à lui soutirer des secrets classés top défense, grâce à quoi ? Au sexe voyons ! Réponse facile de scénariste, après tout, tant que ça fait vendre. Sauf que pas seulement, ça se passe aussi dans la vraie vie. Vous avez déjà entendu parler de Stormy Daniels ? Il est impossible pour moi de comprendre ce qui aurait pu pousser un homme comme Donald Trump à payer pour avoir des relations sexuelles avec elle, alors qu’il avait épousé Melania juste une année auparavant.
Hors de tout jugement moral, un monde en partie étranger
Donc oui, dans ce monde hypersexualisé, où il semble naturel pour tout le monde d’avoir envie de coucher avec tout le monde, où le sexe semble être devenu un loisir comme un autre et où les scandales sexuels des « riches et puissants » défraient la chronique, j’avoue que je ne comprends pas ce dont il est question, car justement, à la base, comme je suis asexuelle, je ne comprends pas l’attrait du sexe. Et attention, je dis ça sans aucun jugement de moralité, à partir du moment où ça se passe entre adultes consentants, je n’ai aucun jugement à émettre. Tant mieux pour tous ceux et celles qui y trouve du plaisir, une source d’épanouissement, ou juste de bon temps, j’applaudis de tout cœur. C’est juste que depuis que j’ai accepté mon asexualité et que je me rends compte que je n’ai plus à faire semblant de comprendre, beaucoup de choses me sont devenues étrangères. Maudite pilule rouge ?